Il y a peu, j’ai entrevu lors d’un trajet en voiture dans un secteur d’Aix un peu en friche, une espèce de gros tas pelé en béton. Cette vision rapide m’a provoqué un choc. J’ai pensé à un espace en chantier, à quelque chose de forcément provisoire.
Que nenni ! Quelques recherches sur le net m’ont appris qu’il s’agissait d’une salle de spectacle bien implantée et en service depuis 2020. Son nom commercial : 6MIC… sismique…trop bien le jeu de mots ! Son surnom : Le Rocher.
Je n’avais jamais encore vu une telle « œuvre ». Au début de mes investigations, je pensais que l’architecte s’était inspiré du train miniature de son enfance et de la fameuse montagne qui agrémentait ce type de jouet. Peut-être également avait-il souhaité remettre au goût du jour le style architectural rocaille qui s’est développé au XIXe siècle grâce au savoir-faire d’artisans-rocailleurs, particulièrement au sud de la France, dans certaines demeures bourgeoises ou jardins publics ? Voir illustration en fin d’article.
Mes lectures m’ont appris que l’ambition du projet était bien plus noble et puissante intellectuellement. Comme le cite le journal en ligne Destimed, très dithyrambique quant au projet : « La note architecturale précise que l’équipement « s’insère dans la volonté de créer un paysage abstrait, intemporel en harmonie avec les paysages de Provence » et se veut « le lien entre le territoire vécu et le lieu fantasmé ».
L’architecte ne s’est pas inspiré des trains de son enfance comme je m’étais amusée à le supposer mais de certains décors de parcs d’attraction. Le discours invoque l’abstraction. Ce concept est bien pratique de nos jours car ce qui est abstrait est interprétable de manière libre par celui ou celle qui regarde. Chacun voit ce qu’il veut, chacun peut créer de l’abstrait, tout peut s’harmoniser avec tout et ainsi la terrible et pénible question de l’esthétique est évacuée.
Comme à chaque fois que je lis ou entends des discours qui expliquent la genèse et le sens de ces créations contemporaines je reste interloquée. Mais où est donc le rapport entre la majestueuse Sainte-Victoire et ce machin en béton ? Que n’ai-je pas intégré pour, à ce point, ne pas ressentir l’harmonie dégagée par ce tas de ciment cet édifice ? Suis-je trop primaire et inculte pour le trouver incongru et laid ? Et quid des autres bâtiments qui jouxtent la salle de spectacle ? J’ai cru en découvrant le bâtiment du club de Rugby en tôle grise qu’il s’agissait d’une centrale électrique ou d’un x-ième entrepôt. Quel aura été le discours des concepteurs et de leur marketeurs pour justifier une telle esthétique ? Transmettre de la joie, susciter l’enthousiasme, favoriser la convivialité dans le sport, les échanges entre les cultures (s’il en reste) ? Re-consternation !
Le Rocher qui a créé un choc sismique en moi dont je me remets petit à petit en allant marcher du côté de la Sainte-Victoire … et en captant les bonnes ondes qu’elle dégage, de vraies ondes sympas, pas des conceptuelles… m’a permis de me remémorer quelques lectures anciennes, certains visionnages sur le net et d’approfondir le sujet des architectures de rocaille.
Je vous livre ci-après quelques liens en vous recommandant particulièrement l’ouvrage d’Anselm Jappe « Béton. Arme de construction massive du capitalisme ».
Destimed : 6MIC salle des musiques actuelles : Un séisme dans le vivier culturel local
Le site : Rocailleur – Artisan d’art du ciment faux-bois.
La Provence : Gravé dans la rocaille
Article de Frédéric Mazeran : L’ornementation en faux bois et rocaille dans le département de l’Hérault
CLAV – Centre Laïque de l’Audiovisuel Entretien avec Jean-Claude Michéa.
Michéa, professeur de philosophie et auteur de nombreux ouvrages politiques. A écouter son analyse du libéralisme culturel et des effets de celui-ci, notamment, sur le plan de l’urbanisme.
Dans philosophie magazine, une présentation du livre d’Anselm Jappe (professeur de philosophie allemand) : « Béton. Arme de construction massive du capitalisme ».
Article dans Marianne : Anselm Jappe : « Le béton appauvrit le monde en le rendant uniforme et monotone »
Laurent
L’abstraction comme excuse pour fabriquer du moche « conceptuel ». Ce que je note à travers ce billet, c’est votre curiosité.